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Imago Dalmatiae. Itinerari di viaggio dal Medioevo al Novecento

Ragusa

"C'est dimanche. Les cloches de Dubrovnik, envolées par delà les gros murs gris de la cité, n'arrivent pas, avec tout leur entrain, à éventer l'air accablant. Du courage. L'antique république de Raguse vaut bien un effort. […]. Per une jolie montée de 3 kilomètres, le long de villas aux jardins tropicaux, nous atteignons une assez vaste terrasse sous des platanes. C'est comme une avant-ville, une préface à la ville, avant d'en franchir les remparts.

— Voici la Sicile e voici la Grèce, remarque l'Ulysside en épongeant son front que n'abrite aucun couvre-chef. J'aime ces cafés sous les platanes, les petites tables à l'hombre des grands arbres et d'un côté la montagne, de l'autre la mer. A Favara, mon pays natal, comme ici, les flâneurs passent leur dimanche entier sur la place ombragée. 

— Oui, mais ici, il y a des femmes dans les groupes attablés. Chez vous, en Sicile, on se divertit entre hommes; les femmes restent au logis. En Grèce aussi, d'ailleurs, sauf dans les grandes villes.

Il est de fait que Ragusaines et Ragusains s'ébrouent à qui mieux mieux autour des tables, tandis que l'orchestre joue des airs viennois. Tout ce monde est bien vêtu, les manières sont courtoises. Il règne dans l'ensemble du tableau vivant un air bien citadin que nous n'avions guère rencontré depuis Venise. Citadin, que dis-je? C'est un air de capitale qu'il faut dire, car Raguse a été, et Dubrovnik demeure, une capitale. […].

Et maintenant nous entrons dans la vieille enceinte par un pont qui franchit le fossé de défense et par la majestueuse tour de Pile du XIV siècle. La statue de Saint Blaise, protecteur de la cité, accueille les visiteurs du haut de la porte extérieure, tandis que la muraille intérieure s'orne — encore une fois, Mechtrovitch, vous êtes bien singulier dans le choix de votre emplacement — d'un Pierre I de Yougoslavie à cheval, en manteau de sacre, bas-relief point sans allure, pourtant un peu sommaire" (pp. 69-71).

"— Chez les moines bruns, chez les moines blancs, où voulez-vous entendre la liturgie du jour? Demande le gentilhomme ragusain, Les Franciscains sont ici même, à l'entrée de la ville, sous ce porche qu'orne une ravissante Pietà du XV siècle, les Dominicains à la porte Plotche, là-bas, au bout de la grand'rue, car la catholique Raguse a placé ses moines aux avant-postes qu'ils étaient chargés de défendre. Nous nous décidons pour les Franciscains. Leur cloître supérieur a un charme de vieille Italie. […]. La bibliothèque du convent garde dans ses 20.000 volumes une bonne part de la littérature ragusaine. […].

Alice a fait de pittoresques photographies des ruelles à escaliers qui grimpent de la rue centrale vers le haut Dubrovnik. Plus on monte, plus l'aspect devient curieux; c'est qu'aussi l'on s'écarte du Dubrovnik élégant pour gagner les masures populaires. Bien que simples, ces demeures, bâties de bonne pierre dalmate, ont en dénéral deux étages. Le rez-de-chaussée est le moins orné. Au-dessus se montrent en façade de fantaisistes constructions légères en bois: escaliers extérieurs, balcons-cages surplombant la rue et rejoignant presque le balcon d'en face, fenêtres avançantes à moucharabiehs, et sur tout cela court, joue, saute et se suspend la vigne heureuse ou la svelte glycine. Pas de robes à la mode dans ces ruelles qui, n'était leur dessin rectiligne, sans coude et sans étranglement, rappelleraient les escaliers de la casbah d'Alger. On y surprend de robustes ménagères portant l'eau à la cuisine, des gamins bronzés en dispute sur le pas de la porte, de sérieuses fillettes pouponnant les benjamins de la famille. Chose étrange et bien sympathique: ces enfants deminus ou en haillons ne mendient pas et n'importunent en aucune façon le passant. Gemins criailleurs d'Espagne: «una perrita, una perrita!», splendides pouilleux des casbahs d'Afrique: «soldi! soldi!», Napolitains glissant comme anguilles entre les touristes, et entre leurs poches, que les petits Yougoslaves si discrets vous soient en exemple…

A regret nous quittons les ruelles relativement fraîches et reprenons la grand'rue qui est dallée, comme à Venise. Nous ne flânerons pas devant les boutiques où l'on vend costumes nationaux de Bosnie et d'Herzégovine, broderies et objets en filigrane; le soleil cogne trop dur et fait briller les dalles d'un éclat trop aveuglant. Heureusement, la place Louja, sorte de place de la Seigneurie, reçoit un peu de brise de mer. On peut en détailler les curiosités sans trop penser à la chaleur. Où qu'on se tourne, l'histoire de Raguse, se lève et vous parle. […]. Le gentilhomme qui nous guide attire notre attention, tout d'abord, en hommage à la France, sur la colonne de Roland. […].

Voici l'hôtel de ville utilisé comme théâtre et comme musée dans ses parties nobles, comme café au rez-de-chaussée. Mais croyez bien, amis lecteurs, que ce n'est pas là un café banal. Les Yougoslaves, qui ont tout récemment transformé le bas de leur hôtel de ville en une salle de café moderne, ont vraiment montré de la hardiesse et du goût. Rien de plus pittoresque que les hautes voûtes de style lombard avivées de couleurs gaies, sous lesquelles les petites tables aux nappes du pays paraissent gentiment inviteuses. Malheureusement, il faut attendre un peu avant d'avoir sa place, tant il y a de monde aujourd'hui. Le fond du café, vastement ouvert, donne sur le vieux port et la mer que la chaleur a rabotée toute lisse, si lisse et si pâle que la musique de l'orchestre s'y pavane sans la soulever d'un pouce" (pp. 76-81).

"Le gentilhomme ragusain qui conseille nos excursions a la bonne grâce de nous accompagner dans l'île de Lokrum, la plus jolie des îles de la baie. Un bateau à moteur nous y mène, du vieux port, en un quart d'heure. […]. L'infortuné Maximilien du Mexique s'y fit construire une villa. C'est le bâtiment que l'on aperçoit après quelques minutes de promenade sur un sentier à l'ombre des pins. Le ministère yougoslave de l'assistance publique y a installé un sanatorium d'enfants. Au milieu du beau parc planté par les bénédictins, où les palmiers, les orangers, les cyprès et les bougainvilliers prêtent leur ombre aux myrtes et au romarin comme dans les jardins de l'Alcazar à Seville, tout un peuple de gamins bronzés aère ses jeunes poumons. Nous surprenons une baignade de convalescents sous la surveillance d'une sœur blanche dont le bonnet semble une tiare" (pp. 84-85). 

"Ce n'est que de loin que nous apercevrons Cavtat, l'Epidaure adriatique, où Mechtrovitch a construit en 1921 un de ses plus grands travaux, le mausolée des Ratchich, famille d'armateurs ragusains dont tous les membres sont morts de la grippe. On a pu voir, à Paris, au Jeu de Paume, en 1933, un des anges du mausolée de Cavtat emportant au ciel dans ses bras une fillette de la famille Ratchich" (p. 88).