Arbe
"Nous n'avons fait à l'île de Rab qu'un court séjour. Mais nous avons failli y rester. Elle mériterait une saison entière.
C'est une bourgade vénitienne adossée à une forêt touffue remplie d'oiseaux et de parfums. Elle affile son extrême pointe sur la mer, comme les bras joints d'une plongeuse. Là, quatre campaniles alignés sur l'étroite bande rocheuse sonnent leurs cloches catholiques entre ciel et mer.
Si l'on va au cœur de l'île se promener dans les vieilles petites rues dallées, n'était l'air plus vif et les senteurs plus saines, on se croirait en quelque enchevêtrement de ruelles à Venise, derrière la Merceria. Pourtant, ce que Venise n'a pas, c'est la belle pierre gris-bleuté que l'on tire des monts dinariques et que l'on utilise ici, taillée en petits cubes égaux, d'un chatoiement très délicat et d'une extraordinaire solidité. C'est à des façades faites de cette pierre que les anciens maîtres vénitiens de Rab ont scellé leurs balcons à colonnettes de marbre et leurs armoiries. Il y a, comme à San Trovaso de Venise, dans le dédale des maisons, de petits espaces libres ou campi, dont le principal ornement est une citerne de pierre artistement sculptée.
Les nuits de Rab, l'été, sont d'une rare splendeur. […]. L'Ulysside recevait à l'hôtel quelque visite d'Italie. Nous sommes montées seules dans les pins odorants par une belle route où nul autre ne passait. Les touristes dansaient en bas sur les terrasses des hôtels […]. Les indigènes étaient, à leur habitude, près du débarcadère, à regarder le va-et-vient du petit port. Et nous, nous montions la route forestière. […].
Rab, toute petite, est un de ces lieux de choix où la Méditerranée condense ses sortilèges. Elle aiguise jusqu'à leur extrême pointe nos chétives correspondances avec l'invisible. Elle a ce qui enivre, augmente, soulève. Tout en elle est accord et nous nous accordons à elle dans l'enchantement" (pp. 19-21).