Monte Mosor
“La route abandonne la mer à Almissa. Elle s’enfonce brusquement dans l’intérieur et profite pour ce faire de l’étroite coupure que la Cétina s’est taillée à travers la falaise. […]. Devant nous, le mont Mosor, le Mont, comme disent les Dalmates (le nom antique du mont Mosor était Masar, signifiant le mont par excellence), dresse son double cône décharné vers le ciel qu’il menace. Bien que son altitude n’ait rien d’alpestre, il s’élève comme un géant au-dessus des autres cimes qui protègent la Politza.
La route est solitaire. On croise rarement quelques kolos, ces chariots dalmates que de petits chevaux traînent au grand trot; rarement aussi l’on voit une maison au seuil de laquelle un humain grave, coiffé de la calotte rouge, chaussé des opankés nationaux, fume dans une énorme pipe.
Après une chevauchée sur les montagnes, parmi les oliviers et les chênes verts, on redescend vers la Cétina. Lorsque nous fûmes parvenus au niveau de la rivière, nous découvrîmes que son lit était bouleversé par d’importants travaux de captation; des quantités d’ouvriers remuaient la terre, il y avait là un chantier moderne, en plein désert: tranchées, canaux, digues, écluses et une usine électrique en construction. Une usine électrique en Dalmatie, c’est à n’y pas croire! Est-ce donc un signe que ce pays va se réveiller enfin? […]. Les villes et les villages que nous avons visités, par l’absence de toute industrie, par la forme antique de leur commerce, leurs petites boutiques où l’on vend des marchandises barbares, leurs échoppes où des artisans travaillent comme au temps des croisades, donnent l’impression d’un pays resté tel qu’il était au moyen âge. Vous comprendrez l’état de stupeur dans lequel Nous fûmes plongés en nous trouvant tout à coup en face d’une usine électrique!” (pp. 122-124).