Salona
“Ah! Les Romains avaient judicieusement situé la capitale de leur province de Dalmatie! Protégée en arrière par de hautes montagnes, barrière infranchissable où ne s’ouvre que le seul passage de Clissa, étroit, facilement défendable, l’antique Salone s’étendait sur un terrain doucement incliné jusqu’à la mer, sur cette rive enchanteresse où la bora ni le siroco ne soufflent jamais et laissent prendre à la végétation toutes les licences tropicales. […].
La route moderne traverse la partie méridionale de la cité disparue. De part et d’autre on aperçoit des ruines, hélas! Très mal conservées; on longe même pendant quelques cents mètres les vieilles murailles dont on ne voit plus que les fondements. Aucune ville, pas même un village, ne s’élève aujourd’hui sur l’emplacement de l’ancienne métropole qui compta parmi les plus importantes cités de l’Empire romain. Ses ruines, éparpillées par tant de barbares, ont en grande partie disparu: les Vénitiens en ont emporté les matériaux précieux, colonnes, statues, marbres, porphyres... la cathédrale de Saint-Marc n’a-t-elle pas été construite avec les dépouilles de cent villes? Les habitants de Spalato y sont venus puiser comme en une carrière. La nature, mue par un sentiment de respect pour ces pauvres restes, les a recouverts d’un linceul de terre. Mais les archéologues, moins respectueux, l’exhument aujourd’hui et l’on peut parcourir une grende partie du sol même de l’antique ville revenue à la lumière. […].
La campagne, partout si luxueusement belle sur cette rivière, s’est faite subitement triste à l’emplacement de la défunte Salone. Les ruines s’étendent sur la plaine maritime qui s’incline au pied du mont Caprario. Le sol est couvert d’oliviers gris qui reçoivent sans trêve les rayons d’un soleil brûlant. Ça et là des aloès. La terre calcinée rejette des effluves de fournaise et se fendille: on a l’impression d’un paysage d’Espagne. La rivière elle-même, dont les eaux rafraîchissaient jadis la banlieue romaine, semble aujourd’hui impuissante, mais il paraît qu’elle est toujours peuplée par ces truites dont les ancêtres faisaient les délices des gourmets da la Salone impériale. […].
Quand on contemple le site admirable où ne dorment plus que les ruines de ce qui fut une des plus grandes métropoles de l’antiquité, on se prend à regretter qu’il ne se soit pas élevé là une nouvelle ville, un port qui pourrait, si l’Autriche le voulait bien, attirer à lui un commerce intense et les richesses qui lui feraient cortège” (pp. 80-84).