Obrovazzo
“Changement à vue: du désert inhospitalier on se trouve brusquement transporté dans une charmante oasis; là tout est vert, riant et frais. Imaginez au milieu du pays désolé un ravin étroit, aux deux parois verticales, et tout au fond, des prairies, des arbres, un fleuve qui promène doucement ses eaux vertes. […]. Des légions d’oiseaux gazouillent dans les arbres, sautillent parmi les branches; des bandes de palmipèdes sauvages glissent gravement sur l’eau; des animaux domestiques paissent l’herbe grasse et l’on voit des hommes, oui, même des hommes et des maisons. Ce fleuve est la Zermanja, le Telavius des Romains, au bord duquel s’étage la petite ville d’Obrovazzo dont les quelques maisons se mêlent en un pittoresque désordre.
On descend au fond du ravin, on traverse le fleuve, large et profond, sur un pont de pierre et l’on entre dans la première ville dalmate de notre voyage, ville misérable, qui paraît plus misérable encore au milieu du charmant décor. Quelques masures se succèdent sur la pente d’une petite colline, que couronnent les ruines d’un vieux castel (Le château fort d’Obrovazzo fut détruit en 1647 par le général vénitien Foscolo); un peu plus grandes mais tout aussi pauvres sont les maisons qui bordent la rivière. Le long d’un quai, où viennent s’amarrer les blancs navires de la Compagnie Ungaro-croate (Obrovazzo est en communication maritime avec Fiume par le cours profond de la Zermanja, qui se jette dans la mer de Novigrad, celle-ci communiquant elle-même avec l’Adriatique par le canal de la Montagne), je note comme monuments remarquables: une mauvaise auberge, où il y a quatre années nous dûmes nous faire violence pour manger les choses innommables qu'on nous y servit, un café, qui ne mérite nullement son nom puisque cette fois nous ne pûmes y boire que de la limonade, seule boisson dont cet établissement était approvisionné, et enfin une petite église et son presbytère au seuil duquel rêvait le curé, maigre et sale comme on sait être sale en Dalmatie" (pp. 22-24).