Spalato
“Une ville dans un palais, c’est ainsi que je me figurais Spalato, où j’avais toujours rêvé de venir. Nous y arrivons par un bel après-midi. C’est le seul endroit de la côte où la muraille s’interrompt; le rivage se creuse en un large golfe, au fond duquel la ville attend les navires. Mes yeux cherchent ce qui reste du palais que fit bâtir ici Dioclétien et où il se retira après avoir abdiqué. J’aperçois une longue façade antique qui, toute gâtée qu’elle est, garde encore, pour s’exposer au couchant, un peu de cette majesté qu’ont les colonnades de Claude Lorrain. A peine débarqué, un étroit passage entre d’épaisses murailles me conduit au centre de l’ancienne demeure impériale. […]. Un des côtés de ce portique est encore ouvert; il laisse voir Le mausolée de Dioclétien et la base du clocher roman, indiscrètement restauré, qui surplombe la place. L’autre côté est bouché par des maisons qui ouvrent leurs petites fenêtres sous la protection des majestueuses arcades. Au fond, du côté du port sur un palier surélevé par cinq marches, se dresse une superbe façade, avec quatre grandes colonnes de granit rouge, et une arcade remplaçant l’architrave, au-dessus de la porte principale. Cette nouveauté, qui répond au dessin des portiques, a été blâmée par les doctes. Elle ne fait que traduire l’influence de la Syrie dans l’architecture romaine. Un sphinx allongé, que le peuple appelle la Gorgone, est placé sur le côté comme un étrange gardien du seuil. Il rappelle aussi ce que l’Empire finissant avait pris d’oriental” (pp. 61-62).
“En face du mausolée, au bout d’une ruelle, on aperçoit une autre façade antique. C’est le temple d’Esculape qui est, lui aussi, un édifice étroit et superbe. […]. Après l'avoir visité, je me suis promené alentour, dans la ville qu’enferme le grand rectangle des murailles romaines. J’ai suivi des rues droites, des ruelles tortueuses, où parfois se dresse une façade un peu plus parée, avec son écusson sculpté, au-dessus duquel un cimier luxuriant est comme un poulpe aux tentacules épanouis jeté sur le mur. Du côté de la campagne, la demeure impériale fait front par une façade d’un accent militaire. Ce palais était une forteresse et reproduisait dans son plan l’ordre rigoureux d’un camp. Je suis revenu la nuit errer dans la ville et toujours les rues que je prenais me ramenaient à la place centrale. Les portiques et le péristyle y faisaient une figure plus grande encore. L’ombre enflait vaguement leurs lignes. Mais ce n’était jamais que la force sans âme de Rome” (pp. 63-64).