Traù
“J’ai visité Traù dans l’accablement de midi. Etroitement prise dans ses murailles, la petite ville semblait empâtée dans la chaleur. Un château et un bastion qu’un mur ruiné relie comme une corde lâche, avec un clocher derrière eux, l’annoncent de loin. Tandis que je la percourais, elle était crûment partagée entre le blanc du soleil et le bleu de l’ombre. Dans les ruelles pierreuses un cordonnier faisait sa besogne, un tonnelier frappait sur des futailles, et chaque métier ne semblait représenté que par un seul artisan. […]. Beaucoup d’entre les maisons portent le bijou d'un petit blason. Le ville ne se desserre que sur une place où la cathédrale s’allonge, au bas de son haut clocher. Le portail, qui date du XIII siècle, est orné avec une lourde abondance. C’est la même végétation de sculpture qu’on retrouve dans les autres églises du pays, mais celle-ci, au dedans, est la plus belle. Une pierre grasse et savonneuse en revêt les parois et donne à l’ombre amassée entre elles quelque chose d’onctueux qui rappelle, avec moins d’opulence, l’épaisse douceur de Saint-Marc. Une chapelle est ornée de bas-reliefs où des amours jouent d’une façon gauche et brusque avec des flambeaux. On voit, sur la même place, la modeste façade du palais municipal et une jolie petite loge, ornée du lion vénitien, et de plusieurs figures, avec un banc de marbre où siégeaient les magistrats de la République.
Nous étions guidés dans notre visite par deux jeunes gens de la ville obstinés à tout nous montrer, jusqu’aux églises sans richesses, jusqu’aux cloîtres où quelques plantes étaient figées dans le soleil. Les Français sont bien reçus dans ces provinces où l’occupation de nos armées a laissé des souvenirs. Après le Gouvernement vénitien, qui s’était surtout fait connaître par son avarice et ses exigences, l’administration impériale fit valoir ici ses qualités ordinaires. La Dalmatie jouit encore des routes qu’y a tracées le duc de Raguse, et aujourd’hui même, ce rivage pauvre et fier est un endroit de l’Europe où la France est aimée et d’où l’on aperçoit bien sa figure” (pp. 58-60).