Lesina
“Liesina est une Isle que Ptolomée appelle Pharia, & Strabon Pharos, d’environ cent milles de tour, mais ce ne sont que rochers & terres ingrates propres pour des lievres & des lapins. Aussi les peuples de l’Isle qui sont au nóbre de trois ou quatre mille se sont tous retirez à la Ville du même nom, afin d’y voir quelquefois aborder les Etrangers dans leur Port. Pour les recevoir avec plus d’honneur, ils y ont fait un tres-beau mole de marbre & de pierre de taille, qui environne le demi-cercle de ce Port. Les écueils qui sont vers l’entrée sont d’autres moles naturels, où les vaisseaux sont à l’abry. Sa situation ressemble à peu prés à celle de Genez, mais vous pouvez bien croire qu’elle n’approche pas de sa beauté. Il y a de tres-bon pain & de tres-bon vin, & forces sardines pour exciter l’appetit, dont ils fournissent l’Italie & la Grece. Leur pêche en est assez curieuse, & voicy de quelle maniere nous la vîmes faire. Dès qu’on sçait que les Sardines doivét venir, en May & Iuin, on va dás les enfoncemés des écueils de Dalmatie, où elles se tiennent, pour fuir sans doute la rencontre des gros poissons qui les avaleroient. Les apprêts se sont le jour, & la nuit on allume à la poupe d’une petite barque un feu d’éclats de pin, & on les va chercher à deux ou trois cent pas de la terre. Quand les Pêcheurs qui rament doucement en ont observé quelque gros peloton, qui suit leur lumière, ils s’en vont du côté de leurs filets, & dés qu’ils sont dans l’enceinte, ils les levent promptement, & remplissent leur Barque de ce poisson. Les meilleures se trouvent à l’Isle voisine de Lissa. Les Turcs qui ne manquent pas d’esprit, se guerissent de plusieurs maladies avec des Sardines, qui sont rares en Turquie. Je ne sçais pas si l’imagination y contribuë quelque chose, mais le remede ne deplairoit pas à des matelots de Provence, qui en sont un de leurs principaux ragoûts.
Je ne vous parleray pas de la Citadelle, ce n’est qu’un nid de corbeaux, qu’on abbatroit aisément de dessus les pointes voisines des rochers. Aussi n’y tient-on pour toute garnison qu’un simple soldat, qui fait l’office de Capitaine, de Sergent & de Portier, à peu prés comme celuy de Plaute. Nôtre Galere aprés avoir fait provision de biscuit pour le Chiourme profita du bon vent, qui la porta cinquante milles dans une apres-dînée jusqu’à Courzola” (pp. 110-112).