Cascate di Kerka
“De Dernis à Scardona, il n’y a que trois ou quatre heures de chemin; les voitures abondent et la route est excellent; aussi, à sept heures du soir, notre conducteur nous déposa sur les bords de la Kerka, en nous signalant la barque qui nous attendait. Il faisait un clair de lune superbe, et la rivière, qui, en cet endroit, s’élargit subitement, apparaît comme un lac entouré de montagnes. Quelques lumières de l’autre côté du bassin nous indiquaient le prochain terme de notre voyage, et une demi-heure plus tard, nous étions installés dans une petite auberge proprette, où le délicieux fumet d’un mouton rôti entier stimulait notre appétit.
Le jour suivant, de bonne heure, nous louâmes un bateau pour visiter la cascade de Scardona. Au sortir du bassin, la Kerka est resserrée entre deux chaînes de montagnes arides; il y avait à peu près une heure que nous remontions son cours lorsqu'au détour d'un angle la chute nous apparut dans le fond du paysage, occupant toute la largeur de la rivière et arrêtée de chaque côté par un mur de rochers. Elle se partage en deux bras, dont l'un tombe presque perpendiculairement d'une grande hauteur, l'autre se jette en bouillonnant sur plusieurs marches qui forment une espèce d'escalier tournant. Aux deux tiers de la descente, les eaux se réunissent dans une seule masse pour se répandre au loin en flots d'écume éblouissants de blancheur. Un gros bouquet de figuier et d'aubépine en surgit comme d'une coupe d'albâtre; le feuillage, éternellement arrosé, étincelle aux rayons du soleil. Sur la montagne, à droite, on ne voit aucune habitation; elle se termine par une pente rapide et de difficile accès; un joli moulin rustique occupe le coin du rivage à gauche; à côté, un jardin d'oliviers avance en promontoire et s'aventure jusqu'au pied de la cascade; les branches touffues de ces arbres et les buissons de la montagne sont voilés par le nuage transparent qui s'éleve des eaux pour envelopper tout le paysage.
On calcule la hauteur de la chute à 172 pieds; sa largeur est à peu près de 250. Elle présente un plus grand volume d'eau que celle du Rhin, qui est plutôt gracieuse que grandiose, et doit son charme à la disposition capricieuse et pittoresque des rochers qu'elle trouve sur son passage. Ici, les rochers se laissent deviner à travers l'eau, mais on ne voit que le vert des arbustes et la blancheur de l'écume. Il faut convenir qu'il est difficile de tracer un parallèle exacte entre deux cascades: ce genre de paysage varie si complétement selon l'époque de l'année à laquelle on le voit (p. 29)".