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Imago Dalmatiae. Itinerari di viaggio dal Medioevo al Novecento

Ragusa

"En quittant Curzola, notre bateau ne s'arrêta plus jusqu'à Raguse. Le trajet se fait en six heures par le canal de Meleda, formé par cette île et la péninsule de Sabioncello, étroite langue de terre qui mesure à peu près quinze lieues de longueur sur une et demie de largeur. […]. Nous passâmes encore devant un groupe d'îlots, probablement ceux que les anciens connaissaient sous le nom d'Elaphites insulæ, et peu après notre bateau jeta l'ancre dans la baie de Gravosa (p. 18).

La chaussée qui conduit à Raguse serpente à travers des collines qui se terminent vers la côte en rochers escarpés. Les accidents du terrain, les nombreux détours de la route varient à chaque instant le coup d'œil; toutes les nuances de verdure viennent se confondre dans ce ravissant paysage. Les larges feuilles de l’aloès jettent un tapis bleuâtre devant la tige élancée du palmier; les vignes s’entrelacent en festons capricieux autour de petites colonnes en pierre qui, ainsi parées, ont un aspect monumental, et semblent appartenir à quelque villa romaine; plus loin des bosquets d’oliviers, de figuiers, de grenadiers, de lauriers-roses, enrichissent le tableau de leurs teintes variées. L’air tiède est embaumé, les suaves parfums des jardins se mêlent aux aromates des montagnes; la nature a prodigué ses richesses sur cette terre séduisante et trompeuse, qui attire l’homme par sa beauté et s’entr’ouvre pour l’engloutir au moment où il croit jouir de ses bienfaits. Car Raguse, comme la campagne de Naples, semble être assise sur un volcan. Déjà une fois réduite en ruines par un tremblement de terre, il ne se passe aucune année sans que des secousses légères ne viennent avertir ses habitants de la fragilité du rocher où ils ont planté leur nid (p. 19).

Les fortifications, le palais du rettore et la douane sont à peu près tout ce qui est resté de l’ancienne Raguse, et encore ces deux derniers édifices durent-ils subir des réparations considérables. La ville moderne se distingue par sa propreté, qualité fort rare en Dalmatie. Une seule rue large et bien dallée la traverse d’une porte à l’autre dans toute sa longueur; de nombreuses ruelles qui viennent y déboucher grimpent jusqu’à mi-côte. Elles sont très étroites, mais régulières et bien habitées. Le palais du rettore est remarquable par son architecture et les souvenirs qui s’y rattachent. Malgré les ravages de trois incendies successifs et de la mémorable catastrophe de 1667, sa belle façade est encore enrichie de souvenirs de l’ancienne Épidaure. Les colonnes qui soutiennent le portique sont, à n’en pas douter, d’origine grecque, et, d’après la tradition, elles auraient appartenu au temple d’Esculape (p. 20).

Sous le rapport de l’instruction, Raguse a une grande supériorité sur le reste de la Dalmatie; on y parle le toscan dans toute sa pureté, les habitants se distinguent par leur courtoisie, et les campagnards même n’ont pas cette rudesse qui caractérise en général les populations du littoral. Le Ragusien a l’imagination vive des Méridionaux; il emprunte à l’Orient sa poésie et à l’Occident sa culture, ces deux éléments l’emportent sur le Slave, dont il n’a ni la physionomie ni les mœurs.

Les jours de marché, Raguse offre un tableau curieux. Les paysannes des alentours, avec leur singulier costume qui varie dans chaque commune et sur chaque îlot; les caravanes qui arrivent de la frontière turque, éloignée seulement d’une lieue, encombrent la ville et les faubourgs de groupes pittoresques. Les environs diffèrent totalement des campagnes nues et stériles des autres parties de la Dalmatie, la nature s’y montre parée et souriante; elle récompense généreusement les travaux intelligents qui fécondent un sol favorisé. […].

Quatre jours sont insuffisants pour voir en détail Raguse et ses environs, et le bateau arriva avant que nous eussions accompli la moitié de nos excursions projetées. Mais le beau temps n’est pas à dédaigner quand il s’agit d’un voyage par mer, quelque petit qu’il soit, et nous ne crûmes pas devoir en perdre l’occasion. Après l'île de Lacroma, scène des triomphes de Roland, et le joli port de Ragusa-Vecchia, on cotoie les provinces turques, qui n’offrent aux regards que des montagnes stériles; de sorte que pour le voyageur qui longe la côte, la végétation et la culture, les richesses de la nature et les progrès de la civilisation semblent commencer et terminer avec le territoire ragusien (pp. 21-22)”.