Spalato
"Spalato doit son origine au palais de Dioclétien. L'obscur fils de Salona, fatigué de revêtir la pourpre impériale, vint demander le repos aux lieux qui l'avaient vu naître, où s'était écoulée son enfance insignifiante et qui avaient été témoins de ses aspirations naissantes. […]. Après que les Avares, en 639, eurent détruit et rasé Salona, le palais de Dioclétien fut appelé à jouer un rôle important dans l'histoire de la Dalmatie. Quelques fugitifs, qui avaient cherché dans les îles un refuge contre la fureur des barbares, revinrent, après que l'orage fut passé, planter leurs pénates dans l'enceinte du palais, et une nouvelle ville s'éleva peu à peu à l'abri de ces murs hospitaliers, dont la solidité semblait offrir une garantie pour l'avenir (p. 12).
Spalato peut se considérer, par son étendue et le chiffre de sa population, comme la seconde ville de la Dalmatie. Elle compte, avec ses faubourgs, environ dix mille âmes. Ses rues sont excessivement étroites et moins bien pavées que dans d’autres villes dalmates. Malgré les prétentions des bons citoyens de Spalato, elle n’a aucune importance comme ville commerçante; son trafic se borne à un échange de denrées avec la Bosnie, et par le cabotage avec les villes de la côte.
Nous avons été témoins de l’embarras d’un voyageur qui s’était muni de billets de la banque d’Angleterre, dans la croyance que ce valeurs, alors en hausse, et dont le cours, à Trieste, se trouvait sur tous les journaux reçus dans les cafés de la ville, serait facile à placer dans une station des bateaux à vapeur pour Corfou, qui passent régulièrement deux fois par semaine; mais son attente fut trompée, les négociants et les changerous répondirent, d’un commun accord, qu’ils n’avaient jamais vu du papier de ce genre, et qu’il pouvait bien être hors de cours. Notre voyageur s’adressa alors au bureau du Lloyd autrichien, mais il n’en fut pas plus avancé; l’employé obiecta que, les billets n’étant oas marqués en chiffres, il lui était impossible de connaître leur valeur. On lui conseilla, en conséquence, comme le moyen le plus expéditif, d’envoyer son papier à Trieste, par le bateau à vapeur qui lui en rapporterait la valeur au prochain voyage. J’ignore de quelle manière le touriste se sera tiré d’affaires, mais cet exemple peut servir d’avis aux vojageurs venant de Corfou et qui voudront s’arrêter à Spalato (p. 15).
La porte principale, connue sous le nom de Porta Aurea, et qui donne sur la route de Salona, est bien conservée; c'est une entrée quadrangulaire surmontée d'une grande fenêtre en semi-cercle, dont l'arc est orné de moulures. […]. Les trois grandes entrées, appelées Porta Aurea, Porta Ferrea et Porta Enea, étaient flanquées de deux tours octogones, qui servaient à la fois d'ornement et de défense. […]. L'entrée qui donne sur la Marine, à laquelle on suppose le nom de Porta Argentina, était beaucoup plus petite et dépourvue d'ornements. […]. D'après ce qui reste, il est impossible d'indiquer avec certitude quelle fut la distribution intérieure de l'édifice. Le premier qui fit des recherches à ce sujet fu un M. Adam, qui, en 1757, dressa des plans d'après lequels il fit un tableau idéal du palais, tel qu'il supposait qu'il devait être du temps de Diocétien. Tous ses dessins sont conservés dans les archives de la municipalité, et, malgré de nombreuses erreurs, son ouvrage a une grande importance archéologique. Depuis quelques années, un ingénieur distingué, M. le chevalier Andrich, habitant de Spalato, étudie avec un zèle vraiment patriotique ce terrain si peu exploité. Ses dessins, qui seront un jour probablement livrés au public, reproduisent, avec fidélité, différentes parties des monuments da sa ville natale, et mettent en relief beaucoup de détails jusqu'ici restés inaperçus. Les excavations dirigées par lui près de l'ancien aqueduc ont amené d'importantes découvertes, dont le résultat pourrait être d'une grande utilité publique (p. 12).
Le superbe péristyle est situé au centre du palais, entre les temples de Jupiter et d'Esculape; il décrit un parallélogramme dont les côtés sont ornés de seize colonnes corinthiennes, les unes en marbre grec, les autres de granit égyptien. Leurs chapiteaux n'ont pas d'architraves superposées, et soutiennent directement les arcades, licence de style qui commençait à être en vogue à l'époque de Dioclétien. Dans le fond, plusieurs marches en pierre conduisent à une façade ornée de quatre grandes colonnes. Celles du milieu soutiennent un arc, au travers duquel on entrevoit la rotonde ou vestibule; à droite, le temple dit d’Esculape apparaît dans un enfoncement; à gauche, nous découvrons la majestueuse entrée du temple de Jupiter. Il n’existe peut-être pas ailleurs un temple païen aussi complétement enclavé dans une ville moderne, tout en conservant une bonne partie de son ancien entourage, de sorte qu’il ne faut pas un grand effort
d’imagination pour avoir une idée de sa splendeur primitive. M. Zuchich, professeur distingué, a fait un modèle du temple de Jupiter tel qu’il a dû exister autrefois; ce travail, admirable de précision, est exécuté avec un véritable sentiment artistique, et reproduit jusqu’aux détails les plus insignifiants du monument. […]. De l’autre côté du péristyle, on voit le monument vulgairement nommé temple d’Esculape. Le premier objet qui frappe les regards en entrant dans son vestibule, est un sarcophage en marbre blanc, orné sur tous les côtés de bas-reliefs. On éprouve un vif sentiment d’indignation en voyant un monument si remarquable exposé à l’intempérie des saisons et à la malveillance des passants. Mais les mêmes préoccupations qui ont fait jeter le sarcophage à la porte de son ancienne demeure, ont aussi servi d’égide à toutes ces reliques du passé; l’art classique romain s’est réfugié dans le giron de l’Église romaine. Il est cependant regrettable que l’on n’ait pas cru devoir transporter ce sarcophage au musée, qui est rempli d’objets bien moins importants. […]. L’étranger qui visite le musée de Spalato, est désappointé de n’y trouver que des fragments mutilés, et des objets insignifiants; le plus beau morceau est une Vénus trouvée à Salona, mais malheureusement il y manque la tête, les bras et la jambe droite. On lit sur le piédestal: Veneri victrici. Il y a aussi plusieurs vases étrusques, quelques urnes cinéraires, des lacrymatoires, etc. On voit souvent des inscriptions sur les murs des maisons, et beaucoup de particuliers conservent des morceaux de statues et de bas-reliefs (pp. 13-14)”.