Dobrota
“L’existence d’un Bocchese qui est parvenu par son habilité à amasser un certain nombre de ducats, est une existence singulière dont il serait difficile de trouver une image en une autre contrée. Je prends pour exemple ce que tout étranger remarquera à Dobrota. Ce village se déroule comme une tresse sur une longue et étroite bande de terre entre la mer et les rochers de Montenegro. Le mer est son élément de richesse, le Montenegro est son péril. Tout jeunes, les Dobrotains se dévouent à la vie maritime, s’embarquent comme matelots, et s’ils ne portent pas dans leur sac, ainsi que nos soldats de l’empire, leur bâton de maréchal, ils peuvent au moins y voir luire dans leur espoir les galons de chef d’équipage et le grade de capitaine, puis la haute position d’armateur. Quiconque a parmi eux gravi heureusement ces divers échelons, veut se reposer de sa carrière au lieu d’où il est parti et rapporter sa couronne de florins à son foyer. Il revient donc à Dobrota, emploie una partie de sa fortune à élargir, à embellir la maison que son père lui a léguée, ou en construit une nouvelle. Là, il dépose avec orgueil tout ce qu’il a recueilli dans ses voyages: objets de luxe, meubles étrangers. Puis il veut avoir son jardin, son enclos, et il paye à un prix énorme une parcelle de terre à peine assez large pour y semer quelques fleurs et y planter quelques oliviers. Il dispose ainsi sa retraite, comme un oiseau prépare son nid, avec un soin minutieux, avec amour et joie. […]. A l’agrément de cet asile se borne son ambition. L’argent qui lui reste, quand son installation est faite, son domaine payé, ses revenus établis dans une modeste mesure, il ne le livrera point aux hasards d’une nouvelle spéculation, il le laissera enfoui dans son coffre, comme si cet argent, ayant ainsi que lui longtemps travaillé, devait ainsi que lui se reposer. […]. Il ne songe point, comme un marchand de Paris retiré des affaires, à se poser en châtelain de sa paroisse, à faire briller aux yeux de ses voisins les harnais de ses chevaux, le vernis de ses voitures, ni résonner à leurs oreilles la rumeur de ses banquets; il reste concentré au sein de sa famille et quelques amis. Cependant, avec touted les précautions qu’il a prises pour assurer le calme de sa retraite, elle ne sera point tranquille, car sur les rocs qui la dominent habitent les Monténégrins, pauvres près de ce riche village de Dobrota, souvent privés des objets de première nécessité, près de ces maisons où règne l’abondance, et de plus, Grecs fanatiques près de cette communauté composée tout entière de catholiques. […]. Dans les temps ordinaires, quand rien ne se meut sur le montagne, quand rien n’announce une nouvelle collision, le Bocchese, surtout celui de Dobrota, ne doit pas moins se tenir prudemment sur ses gardes. […]. Ici, les maisons sont entourées d’un rempart, ou tout au moins percées de meurtrières qui au moment critique se garnissent de fusils (pp. 293-295)”.