Spalato
“Spalato a deux ports. Quand on arrive dans celui où abordent les navires par un temps calme, dans celui qui touche à l’une des portes du palais, on n’a devant soi qu’un amas de murailles grises; au delà, des montagnes de la même teinte, et il semble que cette ville soit, comme la plupart de celles qu’on voit en Dalmatie, fondée sur un aride terrain; mais entre ses nouvelles lignes de circonvallation et un autre port, s’étend une verte et féconde campagne, pleine de vignes, d’oliviers et d’autres arbres à fruit. Prés de là est Salone, jadis capitale de la contrée, maintenant humble petit village, qui a vu s’en aller ses édifices avec ses habitants; car les pierres de ses remparts ont servi à l’agrandissement de Spalato, et le clocher de l’église de saint Doimi e été presque entièrement construit avec les débris de l’antique cité (p. 244).
A cette même place [le palais de Dioclétien], j’ai passé tout une soirée dont je ne plus oublier l’impression solennelle. J’étais là au centre, au cœur même de cet antique palais. Les autres parties de l’édifice ont été entièrement bouleversées. Celle-ci, malgré les transformations qu’elle a subies, apparâit encore dans son majestueux ensemble. Voilà les colonnades du péristyle auxquelles on arrivait par la porte d’or; voilà le temple de Jupiter, patron de Dioclétien, et, en face, le petit temple qu’on est convenu d’appeler le temple d’Esculape, bien qu’il ait eu peut-être une autre destination. L’une de ces colonnades forme aujourd’hui la façade de la demeure de l’évêque catholique; sous une autre est un café dont le toit n’arrive pas même au faîte des arceaux. Le temple de Jupiter a été consacré à saint Doimus, disciple de l’apôtre saint Paul, et du temple d’Esculape le clergé a fait un baptistère. […]. Des innombrables constructions des Romains, celles qui ont été le mieux conservées, l’ont été par les chrétiens. En première ligne, je placerai le Panthéon de Rome, ensuite la cathédrale actuelle de Spalato (pp. 238-239).
O vanité des prétentions et des espérances humaines! Dioclétien employa douze annés à construire cet édifice; il en fit tailler les colonnes, les chapitaux par les meilleurs sculpteurs de son temps; il épuisa, pour élever ces longues façades, les carrières d’une pierre qui a la dureté du marbre; et ces colonnes servent aujourd’hui d’appui à de misérables échoppes; et sous les arceaux de son magnifique péristyle, les oisifs de la ville se réunissent pour lire la Gazette de la Dalmatie en prenant une mauvaise tasse de café! […]. Une fois le palais rempli, la population toujours croissante de Spalato se jeta hors de son enceinte, bâtit une autre ville, et s’entoura d’un autre rempart. Mais ni la nouvelle, ni l’ancienne ville ne présentent un coup d’œil riant. Leurs rues sont également étroites, sombres, bordées pour la plupart de maisons de chétive apparence. Dans ce chef-lieu d’un département dalmate, l’étranger ne trouve pas même une auberge où il puisse décemment loger, et l’amateur de livres pas une bonne librairie. Cependant, il y a là un musée d’antiquités, organisé par des archéologues instruits, et Spalato a produit à diverses époques des hommes distingués, plusieurs prélats, deux papes, des érudits, des écrivains, et, au-dessus d’eux tous, saint Jérôme, cette lumière de la Thébaïde, cette gloire de l’Église (p. 243)”.