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Imago Dalmatiae. Itinerari di viaggio dal Medioevo al Novecento

Lussinpiccolo

“Il existe à l’extrémité du Carnero deux villes qui portent le nom de Lussino; l’une, plus ancienne, y ajoute l’épithète de Grande; l’autre s’appelle modestement Lussino Piccolo. Mais comme, selon les paroles de la Bible, les grands seront abaissés et le petits élevés, Lussino Grande n’est plus aujourd’hui qu’une pauvre chétive bourgade, et Lussino Piccolo, qui n’était au siècle dernier qu’un humble village de pêcheurs, est devenu une importante cité.

C’est un prêtre qui lui a donné cette heureuse impulsion, un prêtre instruit, zelé, qui, ayant par un penchant particulier étudié les mathématiques et les lois de la mécanique, se réjouit d’enseigner à ses paroissiens ce qu’il avait appris, et fit de son école de village une école de marine. Grâce à ses leçons, à ses conseils, les Lussiniens entrèrent avec plus d’assurance et d’habileté dans la vie nautique. Ils se mirent à contruire des chaloupes, des bricks, voire même de gros navires, les équipèrent et les gouvernèrent eux-mêmes. […]. D’année en année, on vit leur esprit de spéculation se développer avec leur fortune, et le nombre de leurs bâtiments s’accroître. Maintenant ils ne pissèdent pas moins de cent trente bons navires qu’ils prêtent à quiconque en a besoin, et avec lesquels ils naviguent dans tous les parages. Ce sont les charretiers de la mer, et la ville à laquelle ils appartiennent peut bien s’appeler la ville des veuves. Tous les hommes s’embarquent dès qu’ils en trouvent l’occasion et ne reviennent que de loin en loin, à moins que la fret ne leur manque ou que leur navire n’ait besoin de réparations. En 1848, par suite des inquiétudes du commerce et de la révolution de Venise, ils rentrèrent presque tous au port, et y stationnèrent longtemps dans une morne inaction. Aussi ne parlent-ils de cette année de misère qu’avec un profond ressentiment. D’ordinaire il ne reste dans la ville que les femmes, gardiennes du logis, les vieillards qui ne naviguent plus, et les enfants qui ne naviguent pas encore. Lorsqu’un des navires de Lussino revient dans la rade, quelle émotion dans toute la petite ville, et quelle joie dans plusieurs maisons! Officiers et matelots, chacun de ceux qui se trouvent sur ces planches flottantes a là sur la côte son intérêt de cœur, ses souvenirs d’enfance, sa mère ou sa sœur, sa femme ou sa fiancée, et chacun d’eux porte une offrande à ses dieux pénates, le fruit de son labeur à ses vieux parents, et quelque objet de luxe des contrées étrangères à la jeune fille qui par la pensée l’a suivi dans son lointain trajet (pp. 192-193).

Nulle part je n’en vis une ville si paisible. On n’y entend ni bruit ni rumeur; […]. Le soir, vers les huit heures, toutes les portes sont closes, les lumières s’éteignent, et peu à peu chaque famille s’endort comme une couvée d’oiseaux. La plupart de ces familles ont conservé entre elles un usage qui n’a pas peu contribué à la prospérité de Lussino. Elles habitent patriarcalement sous le même toit, autant que la largeur de la maison le leur permet. Si par plusieurs mariages successifs elles sont forcées de se disjoindre, elles restent pourtant associées au même intérêt. Le grands parents, les gendres placent ensemble leurs capitaux dans des spéculations maritimes. […]. Ils commencent par construire une barque de cabotage, puis un bâtiment plus large; puis ils en viendront à posséder un navire dont un des leurs sera capitaine, et où les plus jeunes feront leur apprentissage de marins. Une fois qu’ils en sont là, ils combineront d’autres projets et les mettront bravement à exécution. De même que la maison Rothschild a dans un lien fraternel enlacé les grands comptoirs de l’Europe, de même on peut voir ici plusieurs familles représentées par un fils, par un frère ou un proche parent dans plusieurs ports éloignés. A mesure que leur richesse s’augmente, elles en appliquent une partie à agrandir leur demeure, à la parer des objets de luxe que leurs navires rapportent des pays étrangers.

La ville de Lussino est bâtie en amphithéâtre sur les contours d’une colline où Deucalion trouverait assez de pierres pour créer après un nouveau déluge une nouvelle race d’hommes, mais peu de chose pour les nourrir. De tout côté on ne voit que des pierres. C’est sur cette base peu propice à la végétation que les Lussiniens veulent voir flurir des plantations. Ils entourent d’un mur épais un carré de terrain, ils y étendent des couches de terre, et lorsque enfin ils ont la joie de voir verdir sous leurs fenêtres quelques têtes de choux, quelques pieds de vigne ou d’olivier, ils ne donneraient pas ces précieux jardins pour ceux de Sémiramis (pp. 195-197)”.